Introduction
Quiz : vous êtes chef de projet et vous devez former votre équipe à l’agilité. Vous souhaitez expliquer l’expression « iron triangle » (triangle de fer) à vos collaborateurs. Parmi les propositions suivantes, choisissez celle qui correspondrait le mieux au concept d’« iron triangle »
A/ L’iron triangle fait référence aux 3 contraintes principales d’un projet
B/ L’iron triangle fait référence aux 3 contraintes principales d’un programme
C/ L’iron triangle fait référence aux 3 contraintes principales d’un produit
D/ L’iron triangle fait référence aux 3 contraintes principales d’un sprint
Corrigé du quiz en bas de cet article [1]
On confond souvent le « triangle d’or » et le « triangle de fer » (iron triangle) de la gestion de projet. L’iron triangle (le triangle de fer) concerne la « gestion de projet agile », alors que le triangle d’or concerne la gestion de projet traditionnelle (prédictive). Si vous vous apprêtez à passer la certification PMP® prochainement, vous devez connaître la différence entre ces 2 notions. Commençons d’abord par le triangle d’or.
Nicholas Martin Limer Barnes (1939-2022) est ce qu’on appelle un « Monsieur » dans le domaine de la gestion de projet. Il est principalement connu pour trois choses. D’abord car il a fondé une autre association de gestion de projet qu’on appelle « APM » (Association for Project Management), c’est une autre association similaire à celle du PMI® (Project management Institute).
Schéma n°1 : Le triangle d’or de la gestion de projet
Ensuite, il a créé une société qui a fusionnée en 1985 avec le prestigieux cabinet PwC (PricewaterhouseCoopers) faisant parti de ce qu’on a appelé les « Big 4 ». Mais il est surtout connu car il a inventé un triangle très apprécié en gestion de projet qu’on appelle le « triangle d’or » de la gestion de projet ou encore le « triangle magique » (schéma n°1). Ce triangle est intéressant car c’est une belle illustration de ce que représente les 3 contraintes principales d’un chef de projet en termes de temps, de coûts et de périmètre (Time, Cost, Scope [2]). Lorsqu’on agit sur l’une des contraintes de gestion de projet traditionnelle (approche prédictive), les deux autres sont forcément impactées. Par exemple : supposons qu’on vous demande de réaliser un déménagement entre Paris et Marseille en tant que chef de projet mais que d’un seul coup, on vous demande de déménager entre Paris et Bordeaux (changement de périmètre), cette nouvelle demande va forcément avoir un impact sur les coûts et sur les délais. Et quelle conséquence ce changement va-t-il avoir sur le contrat ? Réponse : il va à minima modifier les 3 références de base (baselines) du contrat, c’est à dire les 3 contraintes de notre triangle d’or : il va modifier le planning contractuel, les coûts contractuels et bien sûr le périmètre contractuel. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la « valeur » du projet.
Quel lien existe-t-il entre le périmètre et la qualité d’un projet ?
Parfois, vous verrez d’autres grilles de lecture pour parler du triangle d’or, tantôt pour rajouter la qualité au centre. En expliquant que la qualité devrait être la colonne vertébrale de la gestion de projet. Tantôt pour y rajouter des parties prenantes en expliquant que la satisfaction des parties prenantes est indispensable à la réussite d’un projet (Cf. schéma n°1). Ceci dit quand on regarde la définition ISO de la qualité d’un peu plus près (pour la consulter, cliquez-ici), on sait que la satisfaction client est une des définitions possibles de la qualité.
En fait, il y a bien une articulation entre périmètre et qualité. Le périmètre concerne les « spécifications » du client tandis que la qualité concerne les « métriques internes » que l’on va se donner pour sûr d’être dans les clous par rapport à ce que nous a demandé notre client. Exemple : le client demande à avoir un lot de 1000 chaussettes de taille 42. Ici on parle du « périmètre ». Le périmètre concerne le client. Eh bien la qualité, c’est savoir « comment », on va se mettre en ordre de marche pour respecter ce périmètre. Est-ce qu’on va faire des contrôles sur toutes les pièces ? Est-ce qu’on va faire des contrôles seulement sur un petit échantillon ? Est-ce qu’on va faire des contrôles par des auditeurs externes ou par des auditeurs internes ? etc.
Comme vous le voyez, les 3 branches du triangle d’or sont intimement liées. Parlons à présent du triangle de fer. Pour vous expliquer cet « iron triangle » qu’on appelle en français « triangle de fer », je vous propose de nous appuyer sur un schéma intéressant : le modèle de Stacey (cf. schéma n°2).
Ralph D. Stacey (1948 – 2021), est connu pour ses travaux en théorie de la complexité des organisations humaines et managériales. L’œuvre la plus connue de Ralph D. Stacey est son modèle de complexité et d’incertitude qu’on appelle modèle de Stacey ou matrice de Stacey (Cf. schéma n° 2)
Schéma n° 2 : le modèle de Stacey [3]
Comme vous le voyez dans ce schéma, plus les exigences du client sont claires et plus nous maîtrisons les technologies, plus il est simple de gérer un projet. Moins elles sont claires et moins nous maîtrisons les technologies, plus il sera difficile de gérer un projet.
A) Pour les projets simples, il est préférable d’avoir une approche de développement traditionnelle de gestion de projet. Dans le vocabulaire du PMI®, cette approche traditionnelle de gestion de projet se nomme approche « prédictive» de gestion de projet (on planifie tout et ensuite on exécute). On appelle également cette approche, « l’approche par processus » (cf. le Guide PMBOK®). Par exemple : un projet de déménagement. Nous l’appellerons « Projet A ».
B) Pour les projets compliqués (il y a plus de données connues que de données inconnues), il sera préférable d’avoir une approche de développement incrémentale de gestion de projet. Ce type d’approche fait partie de la famille des approches de développement adaptative, qu’on appelle également approche « agile ». Par exemple : la création d’une application mobile. Nous l’appellerons « Projet B ».
C) Pour les projets complexes (il y a plus de données inconnues que de données connues), il sera préférable d’avoir une approche de développement itérative de gestion de projet [4]. Par exemple : créer une application d’intelligence artificielle de type ChatGPT. Nous l’appellerons « Projet C ».
D) Pour les projets chaotiques (il n’y a pas de données connues), il sera préférable de n’avoir aucune approche car il n’y a que des coups à prendre ! 🙂 Nous l’appellerons « Projet D ».
Ici on était sur le modèle de STACEY. Parlons à présent d’un autre schéma, celui qui illustre la différence entre les approches prédictives et les approches agiles (adaptatives) de gestion de projet [5].
Approche prédictive vs Approche Agile : 2 logiques différentes
Schéma n° 3 : Courbe de l’approche prédictive
Pour illustrer l’approche prédictive, prenons en exemple un projet de déménagement d’une usine de fabrication de chaussettes entre Paris et Marseille (comme sur le schéma n° 3). Puisque la destination ici est claire, cela signifie que l’exigence du client est claire. Et disons que les équipes de ce projet soient en maîtrise du savoir-faire nécessaire pour le réaliser. Ils vont donc adopter une approche prédictive pour pouvoir le piloter. Si on regarde le modèle de Stacey (cf. schéma n° 2), on est sur un projet simple (projet A). Sur ce type de projet, on va prédire toutes les tâches nécessaires à sa réalisation avant de les exécuter. Mais pour pouvoir prédire toutes ces tâches, le périmètre doit être « fixe ». Parce que si on change de destination régulièrement, on ne disposera pas de point d’appui pour pouvoir planifier les tâches du projet. Exemple : Imaginez que pendant que vos déménageurs conduisent tranquillement vos cartons à Marseille, il y ait un changement brutal de destination. Imaginez qu’on vous demande d’organiser le déménagement, non plus à Marseille, mais à Bordeaux ! Si vous changez de destination pendant que les camions se dirigent vers Marseille, comme je vous le disais dans le paragraphe précédent, cela va avoir un impact sur vos délais et sur vos coûts. Les délais et les coûts sont donc totalement tributaires du périmètre. Ils varient si le périmètre varie de ce qui était prévu initialement. Le périmètre doit donc être fixe. C’est la raison pour laquelle, on appelle cette approche prédictive. On « prédit » ce qu’on doit faire mais si on change l’objectif régulièrement on ne peut plus prédire ! Pour rappel, l’objectif de l’approche prédictive, est de contrôler les coûts du projet.
Schéma n° 4 : Courbe de l’approche agile (adaptative)
Pour illustrer l’approche adaptative (souvent appelée agile), je vous propose de prendre un autre exemple. Partons sur un projet de création d’une application mobile à intelligence artificielle de type ChatGPT (comme sur le schéma n° 4). On a fait appel à vous pour travailler dans une start-up de la Silicon Valley pour concurrencer ChatGPT.
Ici, si on raisonne avec le modèle de Stacey (cf. schéma n°2), on est sur un projet complexe (projet C). Pourquoi ? Parce qu’on peut aisément supposer que vos concurrents vont régulièrement sortir des fonctionnalités pétillantes pour attirer de nouveaux utilisateurs (des plugins nouveaux, des extensions nouvelles, des prompts nouveaux, etc.). Et vos collaborateurs vont donc devoir être prêt en permanence à sortir des fonctionnalités équivalentes. Et à moins que vous ne disposiez d’un service d’espionnage industriel (lol), on peut aisément imaginer que vous soyez en faible maîtrise des technologies de vos concurrents. C’est pour cela que vous allez devoir vous adapter en étant « agile ». Entendez par agile, « flexible » et « rapide ». Flexible pour vous conformer aux exigences de vos clients. Et rapide pour éviter que vos clients ne s’impatientent. C’est une double adaptation. Vos collaborateurs vont devoir s’adapter aux changements de spécifications (exigences) mais également aux changements de technologies nécessaires pour apprendre et maîtriser ces nouvelles technologies très volatiles.
Savez-vous pourquoi les sprints ont une durée fixe ?
Les sprints doivent avoir une durée identique. Ce qui veut dire que si on décide de travailler sur des cycles de 2 semaines. On fera le maximum pour garder des sprints d’une durée de 2 semaines. Les sprints ont une durée fixe pour au moins 2 raisons. D’abord pour pouvoir « comparer » le travail fourni. Le philosophe Aristote, disait : « qui ne mesure guère ne dure ». Si on mesure les données d’un sprint d’une durée de 3 semaines avec celles d’un sprint d’une durée de 2 semaines, les interprétations seront nécessairement différentes puisque les données seront différentes. On compare difficilement des pommes avec des poires ! 🙂 Ensuite sur le plan psychologique : apporter de la certitude à l’incertitude est, me semble-t-il une bonne chose. Nous avons vu avec le modèle de STACEY que le monde de l’agilité était complexe et incertain. Et c’est bien connu, notre cerveau n’aime pas le changement, il préfèrera les habitudes que lui offrent les durées fixes et ritualisés des sprints (pour en savoir plus sur le pouvoir des habitudes, cliquez-ici). Donc si nous lui facilitons la tâche avec des évènements fixes et des durées fixes, il aura déjà cela de moins à anticiper, c’est du glucose en moins à consommer pour notre cerveau, il vous en sera donc reconnaissant ! 🙂
Conformément au « manifeste agile », ils vont devoir s’adapter au changement plutôt que suivre un plan tout tracé à la manière d’une approche prédictive (cf. les 4 valeurs du manifeste agile). Le périmètre est donc variable. C’est la première branche du triangle de fer. Pour ce faire, ils vont fonctionner sur des cycles très courts à durée fixe. C’est la deuxième branche du triangle de fer. Ces cycles très courts, on les appelle « Sprint ». Généralement, ces sprints durent 2 semaines. Et à la fin de chaque sprint, ils « inspecteront et adapteront » leur objectif pour être au plus proches des spécifications (exigences) de leurs clients. De la même façon, pour contrôler à minima leur projet, ils vont devoir travailler avec des ressources fixes pour pouvoir avoir un budget fixe (c’est la 3ème branche du triangle de fer).
Schéma n°5 : Courbe comparative entre l’approche prédictive et agile [5]
J’ai une question à 100 $ pour vous !
Regardez le schéma n° 5 et dites-moi si la courbe de l’approche prédictive parle du même projet que la courbe de l’approche agile ?
La réponse est « non » bien sûr !
« Non » car comme vous le voyez sur le schéma, il s’agit de 2 projets différents. J’ai pris le soin de parler d’un projet A et d’un projet C. Il s’agit donc de 2 projets différents, avec 2 écosystèmes différents. A l’exemple du modèle de Stacey présenté précédemment (Cf. le schéma n° 2). On ne peut donc pas dire que l’approche agile est moins bonne ou meilleure que l’approche prédictive puisque ce sont 2 projets différents, avec des objectifs différents. L’un se gère de façon prédictive et vise un contrôle des coûts dans un écosystème stable. Alors que l’autre, à l’approche agile vise une satisfaction client dans un écosystème mouvant. On ne mélange pas les serviettes et les torchons ! 🙂
Le triangle d’or et l’iron triangle : le grand malentendu
Schéma n°6 : l’Iron triangle (le triangle de fer)
Quand on regarde ces 2 triangles on pourrait croire qu’il s’agit du même projet. Alors que non seulement il ne s’agit pas du même projet (Cf. paragraphe précédent) mais en plus on ne parle pas de la même chose. Le triangle d’or de l’approche prédictive nous parle de la « totalité » du projet A (simple). Alors que le triangle de fer nous parle de la singularité d’un « sprint » (cf. schéma n°7) du projet C (complexe). Dans l’approche agile, « Chaque Sprint peut être considéré comme un projet court », dixit le guide Scrum de Ken Schwaber & Jeff Sutherland.
Schéma n°6 : l’Iron triangle (le triangle de fer)
Maintenant, quand on vous parlera de triangle d’or et de triangle de fer vous saurez qu’on vous parle de 2 projets différents. L’un concerne la totalité du projet, l’autre concerne l’échelle d’un sprint.
Conclusion
Pour conclure, retenez que l’iron triangle est une belle illustration de ce que représente l’esprit agile pour inciter les équipes à travailler avec des cycles « fixes ». Les sprints et les coûts sont fixes tandis que le périmètre est variable puisqu’il peut changer après chaque sprint en fonction du retour du client. Retenez aussi qu’il ne faut pas confondre ce triangle avec le triangle d’or de la gestion de projet, qu’il lui fonctionne à l’inverse, sur une logique prédictive. Voilà, maintenant que vous avez lu cet article jusqu’au bout, j’espère que vous saurez expliquer « l’Iron Triangle Agile » à des non-initiés ? S’il y a un point qui vous a paru bizarre ou autre, n’hésitez pas à le mentionner en commentaire, je serai ravi de vous répondre !
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Sources et références :
[1] Corrigé du quiz : Réponse D. « L’iron triangle » est une représentation visuelle de ce qui se passe à l’échelle d’un sprint.
[2] pour des raisons pédagogiques, j’utiliserais la notion de « périmètre » et de « spécifications » de façon indifférenciée.
[3] Ce schéma est librement inspiré du modèle de STACEY. Pour découvrir le modèle original, cliquez-ici
[4] Si vous souhaitez connaître la différence entre l’approche incrémentale et l’approche itérative, n’hésitez pas à me l’indiquer dans la partie « commentaire » de cet article. Je serai ravi d’écrire un article à ce sujet.
[5] Ce schéma est librement inspiré d’une conférence animée par Jean-Yves Klein. Pour découvrir le modèle original, cliquez-ici : « l’agilité en 2 mots, c’est quoi »
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Merci Tarik pour toute ces explications. Je saisis à présent clairement la différence entre le triangle d’or et le triangle de fer avec toutes les variables qui peuvent s’ appliquer. Bravo pour les dessins explicatifs, ils apportent un réel plus pour la compréhension.
Merci beaucoup Vincent pour ce retour. Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas ! 🙂
Très instructif et des exemples simples qui aident vraiment à comprendre.
Cette façon attractive d’expliquer est un point fort.
Bon courage cher ami.
Avec plaisir Majed. Merci beaucoup !! 🙂